ALLAITEUSES NOIRES D’ENFANTS BLANCS

Durant les périodes aiguës de l’esclavage outre-Atlantique, il y avait une manière d’ambivalence dans la relation imposée entre l’enfant blanc et sa nourrice noire, dont le corps, a priori méprisé, était introduit dans l’intimité familiale de ses maîtres jusqu’à faire de l’innocente une possible deuxième mère, voire une sorte de marâtre secrète.

L’aspect plus ou moins idéalisé de cette relation ne doit pas masquer la violence exercée sur la « black mammy », dépossédée de sa propre maternité et victime d’une instrumentalisation esclavagiste. En effet, l’image de la nourrice et du bébé était instituée, malgré eux, en symbole hypocrite de l’harmonie interraciale dans des sociétés cruelles et ségrégationnistes.

LIENS RÉCIPROQUES D’AFFECTION

La capacité d’allaitement était alors susceptible non seulement de conférer à la nourrice noire un pouvoir de vie ou de mort sur l’enfant blanc, mais également d’induire une quasi-interdépendance entre eux.

De fait, l’étroite relation était presque peau à peau, impliquant un mode particulier de familiarité, une exploration du corps de l’autre dans ses parties peu exposées à des tiers, que ce soit par l’allaitement présumé maternel ou par les soins prodigués au dénudé nourrisson vulnérable.

Aussi pouvait-il se tisser des liens réciproques d’affection qui perduraient dans certains cas, comme en témoignent notamment le prodigieux amour filial de William Cuthbert Faulkner (1897-1962) envers Caroline Barr Clark et celui de Jack London (1876-1916) envers Virginia Prentiss.

 

ÉNORMES AMBIGUÏTÉS

Il subsiste cependant d’énormes ambiguïtés qui trahissent la persistance de mythes éculés. Si la « black mammy » était dépourvue de sa condition humaine pour la réduire à l’esclavage, qu’est ce qui peut expliquer l’idée de ses maîtres de lui confier un bébé blanc à allaiter ou à élever ? N’est-ce pas un odieux moyen d’exploitation sociale et de servitude aliénante ?

En réalité, l’esclavage constitue une indignité crasse, qui, sous sa forme historique ou moderne, contribue à la traite criminelle d’êtres humains et à la reproduction réelle d’inégalités raciales, tribales ou ethniques.

Hélas ! Nonobstant la preuve scientifique de l’indivisibilité génétique de l’espèce humaine, la fable de la race comme caractéristique biologique majeure continue malheureusement d’alimenter de nombreux préjugés.

Par le Professeur Alain Boutat

Épidémiologiste,

Économiste et Politiste

Lausanne

MEDIAPART 31 AOÛT 2023

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