FRANC CFA ET SOUVERAINETÉ

Le franc CFA représente deux monnaies régionales, en vigueur dans six pays d’Afrique centrale et dans huit pays d’Afrique occidentale. Ces monnaies régionales sont respectivement émises par deux institutions distinctes : la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) et la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO).

Moyennant le dépôt de 50% des réserves de change sur un compte rémunéré auprès du Trésor public français, les États de la BEAC et de la BCEAO bénéficient invariablement de la parité fixe de conversion entre l’euro et le franc FCFA. Mais ces États subissent aussi les extensions des tribulations économiques de la zone euro, sans toutefois pouvoir agir sur elles. Il en résulte de nombreuses voix pour fustiger une coopération monétaire obsolète et héritée de la colonisation française.

ÉCONOMIES FRAGILES

Ce sont généralement les mêmes critiques, désormais amplifiées, qui, depuis belle lurette, appellent à des réformes profondes, voire à la création d’une monnaie souveraine dans chacune des deux zones régionales CFA en Afrique. Présumée flexible, cette nouvelle monnaie est censée être soutenue par une politique autonome de change et de régulation, aiguillée vers la stabilité des prix, l’équilibre des échanges extérieurs, la croissance économique et l’amélioration de l’emploi.

Bien qu’il y ait une sorte de violation de la souveraineté des pays en zone CFA, ceux-ci ont néanmoins la latitude de négocier la révision ou la rupture des accords de coopération monétaire avec la France. Dans l’hypothèse de la rupture, plutôt privilégiée par la plupart des adversaires africains du franc CFA, la question essentielle est de savoir comment mettre en œuvre des politiques exigeantes qui éviteraient la transformation de la « liberté monétaire » en « liberté capacitaire », de surcroît dans des économies fragiles et peu diversifiées, souvent marquées par une orientation défaillante et une prédation endémique.

CONFIANCE MONÉTAIRE

Le Mali est sorti de la zone CFA en 1962 pour faire fabriquer le franc malien en Tchécoslovaquie. Il y est revenu par la petite porte en 1984, après la détérioration observée de son économie. La Guinée équatoriale, ancienne colonie espagnole, a abandonné l’ekuele en 1985 pour adopter le franc CFA, contrariée par les fluctuations décevantes de la monnaie nationale. Le pays de Teodoro Obiang Nguema Mbasogo fut suivi en 1997 par la lusophone Guinée-Bissau, qui, pour s’affranchir de la spirale inflationniste, remplaça le peso par le franc CFA. Et Madagascar, qui avait claqué la porte de la communauté CFA en 1973, s’est résolu à l’arrimage de l’ariary au franc CFA, en raison de ses difficultés macroéconomiques.

De fait, la monnaie est un symbole historique de la souveraineté des nations. Elle peut être créée par un seul État (comme le yuan) ou par plusieurs États (comme  l’euro), mais elle n’est pas automatiquement le remède aux maux du sous-développement. En complément des apparences, pour instaurer la confiance monétaire, c’est toute une organisation qui gagne à être revisitée, avec des contraintes de gouvernance, des  conditions d’optimalité économique et des critères de performance à respecter (inflation, déficit budgétaire, dette publique…).

HIC FORT PERSISTANT

Dans la même veine, une monnaie commune est envisageable sous le pilotage d’une institution régionale, à condition que les États membres renoncent aux interventions intempestives et à certains pouvoirs inhibitifs de l’efficacité financière. L’expérience du panafricanisme, après les indépendances, et l’ambitieux projet de l’éco, en Afrique de l’Ouest, semblent montrer la nécessité d’un transfert plus large de prérogatives contrôlables aux institutions intergouvernementales intégratives. 

Nonobstant, il y a un hic fort persistant : les échanges du continent s’effectuent massivement avec des partenaires situés au-delà des mers, mais restent malheureusement négligeables en son propre sein. Dans la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale, par exemple, les échanges entre les six membres ne représentent que 5% des transactions totales. Dans ce contexte, des monnaies nationales distinctes seraient davantage maîtrisables qu’une monnaie régionale requérant la convergence incertaine d’indicateurs économiques entre plusieurs pays.

SOUVERAINETÉ MONÉTAIRE

En cas de récession ou de stagnation, chaque État serait ainsi emmené à activer ses mécanismes d’équilibre et, le cas échéant, à prendre les mesures structurelles qui s’imposent. Comme le souligne l’économiste sénégalais, Ndongo Samba Sylla, « Ce qu’il faut, c’est une monnaie […] qui garantisse l’indépendance financière de l’État, qui peut financer les services publics, participer au développement économique, sans s’endetter en monnaie étrangère » (Journal Le monde, 19/01/2020).

Encore faudrait-il que les États nationaux soient dessaisis du pouvoir d’émission monétaire au profit de banques centrales autonomes. Dans un cadre d’indépendance relative du politique, il ne serait pas superflu d’arrimer la nouvelle monnaie à un panier de devises, dont la composition serait dictée par les poids respectifs des principaux partenaires commerciaux. On peut vouloir se débarrasser de l’influence française, mais la souveraineté monétaire a un prix : elle exige des efforts de rigueur et de management irréductibles à des aspirations creuses !

Pr.  Alain BOUTAT

MEDIAPART

MAR. 19 SEPT. 2023

Épidémiologiste,

Économiste et Politiste

Lausanne

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