LA CHIMÈRE EKANG
Existe-t-il dans le Triangle camerounais des tumultes un « peuple Ekang », qui pourrait aisément s’appréhender sous une forme nettement perceptible par des lignes crédibles de démarcation communautaire ?
En admettant que ce « peuple » eût existé dans l’histoire lointaine des groupes bantous, quels en sont aujourd’hui les effets de liant souvent ressassés à la mords-moi-le-nœud et proclamés à la va-comme-je-te-pousse ?
MANQUE D’HOMOGÉNÉITÉ
En réalité, le présumé « peuple Ekang » présente moins une harmonie sociologique qu’une sorte de compatibilité géographique en manque d’homogénéité coutumière et de langue véhiculaire.
Même au sein des clans tribaux occasionnellement idéalisés dans le Midi camerounais, qui prétendent tous allègrement appartenir à ce fameux peuple pluriel, les chefferies traditionnelles et les corps sociaux peinent désespérément à prendre forme, pour faire émerger de puissants leviers de solidarité communautaire et de progrès exemplaire.
GESTALT DÉSORDONNÉE
Bien au contraire, leur gestalt désordonnée s’articule autour de mini-structures politicardes et de querelles fratricides, entretenant des réseaux interpersonnels de médisance et de méfiance, de mendicité et de vénalité, arc-boutés sur les faveurs circonstancielles d’un État aux ressources fatalement ténues, mais férocement minorées par une endémique prévarication élitaire.
De fait, la conscience d’appartenance y est contextuelle, soumise au rythme des manifestations élémentaires et inclusive d’identifications complémentaires, notamment lors de cérémonies funéraires, de fêtes nuptiales ou de rassemblements folkloriques, dans une étrange complicité de façade entre ceux qui tiennent le haut du pavé et les âmes ratatinées par la cruauté du quotidien, entre les descendants vivants et les ascendants disparus, entre les fractions domptables du réel utile et les dimensions indomptables de l’irréel futile.
COHÉSION NATIONALE ET PATRIOTIQUE
Dans ces conditions irréductibles au Cameroun méridional, la question cruciale qui s’impose finalement à l’esprit est de savoir comment essentialiser les heurs de l’humanisme dans une nation au détriment des malheurs de l’ethnocentrisme, en cette période éminemment délicate et agitée où « l’Afrique en miniature » encourt malheureusement des risques exacerbés de revendications primaires, de replis identitaires et de dislocations entitaires ?
Une partie de la réponse à cette question devrait être trouvée dans le renforcement déterminé de la cohésion nationale et patriotique à travers une éducation civique massive dans tous les azimuts, le bannissement sévère des formations politiques tribalistes et le soutien égalitaire des organisations républicaines pluriethniques, afin de pousser les individualités citoyennes vers les autres par une sorte de contamination magnético-affective, sous la contrainte existentielle d’un héritage commun et d’un destin indivis !
Alain Boutat
Épidémiologiste,
Économiste et Politiste
Lausanne