LE DANGER ÉQUIVOQUE DE POLLY MATZINGER ET DE RIGOBERT SONG
« Quand tu sais que tu es en danger, tu n’es plus en danger, mais quand tu sais que tu n’es pas en danger, c’est là où tu es en danger ».
Rigobert Song Bahanag
La déclaration reproduite supra est celle du sélectionneur de l’équipe camerounaise de football, en mars 2022, après la défaite de son pays contre l’Algérie au match-aller des qualifications à la coupe du monde au Quatar. Cette sortie médiatique est devenue proverbiale, notamment parmi les élites en vue qui y voient « la théorie du danger », interprétable à l’envi comme une résilience à toutes les sauces contrariantes.
MODÈLE DE MATZINGER
D’autres universitaires adoptent une perspective réflexive et épurée de « la théorie du danger », à l’instar de Siméon Kouam qui s’emploie à associer au jeu de football « une doctrine psychologique » et « une philosophie existentielle », tout en reconnaissant l’absence de lien avec la théorie scientifique du danger de Polly Celine Eveline Matzinger, une biologiste américaine, imperméable aux idées reçues, dont les travaux ont contribué à un modèle revisité du déterminisme immunitaire.
Dans le modèle de Matzinger (« DAMP – Danger Associated Molecular Pattern »), les inducteurs de la réponse immunitaire sont les signaux de danger qui accompagnent les antigènes et qui sont susceptibles de révéler des lésions cellulaires ou des destructions tissulaires. Un même antigène peut ainsi être perçu comme inoffensif (télérogène) ou nocif (immunogène) et orienter diversement le type de réaction approprié.
Rigobert Song Bahanag n’a vraisemblablement jamais lu les rares publications hermétiques de Polly Matzinger, qui, selon elle-même, les aurait « co-rédigées » avec sa chienne, dénommée Galadriel Mirkwood, d’une race canine originaire d’Afghanistan.
PERCEPTION DU DANGER ET PSYCHOLOGIE DU RISQUE
Il n’en reste pas moins que certains esprits, autrement inspirés dans le Triangle de tumultes, ont voulu relier les propos éclatants du manager des Lions indomptables avec le concept scientifique de « danger », énoncé par l’ancienne éleveuse de « Canis lupus familiaris », successivement animatrice d’un club play-boy, musicienne de jazz, serveuse de cabaret et, enfin, brillante immunologiste.
Avec sa théorie du danger, très éloignée du terrain de football, l’universitaire éclectique, énigmatique et atypique explique avec brio des processus organiques spécifiques, tels que l’accoutumance du fœtus durant la grossesse ou la tolérance des cellules tumorales.
Nonobstant ce qui précède, il y a lieu d’être reconnaissant envers le sélectionneur camerounais pour avoir suscité d’autres interprétations de la perception du danger et de la psychologie du risque, alors qu’il se savait en situation d’infortune avant le match-retour contre l’Algérie à Blida. Il y a également lieu de féliciter son équipe mentalement victorieuse au terme d’une mémorable compétition sportive aux enjeux considérables. Et « c’est de ça qu’il s’agit ». Rien de plus !
Par le Professeur Alain Boutat
Épidémiologiste,
Économiste et Politiste
Lausanne
MEDIAPART – PARIS
14 JUIN 2022