APPARITIONS SPIRITUELLES IMAGINAIRES
À l’ère contemporaine de l’internet et de l’intelligence artificielle, nous assistons à une épidémie d’apparitions d’ordre spirituel sur la toile et les réseaux sociaux. Et pourtant, ces événements en apparence extraordinaires se révèlent le plus souvent imaginaires.
Que ce soit en Amérique ou en Europe, en Afrique ou en Asie, en Océanie ou en Antarctique inhospitalière, la plupart des visions plus ou moins conscientes rapportées, notamment celles de Jésus-Christ et de la Vierge Marie dans le ciel, apparaissent in fine comme des phénomènes naturels explicables, des canulars grotesques ou des impostures criminelles.
MIRIFIQUES RÉCITS
De manière générale, les dignitaires des trois confessions monothéistes (judaïsme, christianisme, islam) semblent prudents sur les mirifiques récits de témoins, non pas seulement par flair d’évidences scientifiques contradictoires, mais aussi en raison du fait religieux lui-même. Hélas, les apparitions de Jésus-Christ et de la Vierge Marie peinent à prospérer comme des objets authentiques de foi et d’enseignement théologique !
Pour le catholicisme, par exemple, la reconnaissance incertaine des apparitions gardées sous le coude est soumise à quatre critères majeurs : « la conformité du message avec la sainte Écriture, la communion avec l’Église, les fruits spirituels de conversion, la cohérence entre messagers et message » (1). De telles précautions se justifient en prévision des supercheries à des fins contraires à la foi et à la morale chrétiennes.
FRAUDE MYSTIQUE
Cette méfiance ecclésiastique s’exprime par une blague connue dans les milieux épiscopaux, selon laquelle l’évêque prie chaque soir en répétant : « Cher Seigneur, Chère Madone, n’apparaissez pas dans mon diocèse, car ce sont des ennuis assurés ». Les prélats réceptifs aux apparitions floues peuvent d’ailleurs se faire remonter les bretelles par le Saint-Siège et paraître Grosjean comme devant. Rien n’empêche cependant que moult « groupuscules illuministes » s’approprient de ces phénomènes pour caresser nûment les dérives sectaires chères à leur assiette au beurre.
De fait, les cas de fraude mystique ne sont pas isolés, mais plutôt moins médiatisés. Aux illusions des guérisons, des promesses salutaires ou des prodiges surnaturels s’ajoutent des revers obscurs et toute la rocambole d’un miroir aux alouettes, entretenus par des faussaires astucieux et des manipulateurs artificieux. Comme le souligne fortement Joachim Bouflet, « Les conséquences sont bien réelles, et parfois très graves : emprise psychologique ou spirituelle, abus financiers ou sexuels… » (2).
ORACLES DES TEMPS MODERNES
Ce qui est particulièrement navrant ou fâcheux, c’est de voir des témoins de scènes d’apparitions d’ordre spirituel se transformer allègrement en prophètes d’inspiration divine pour prédire l’avenir ou en marchands d’orviétan pour dissiper des maux humains cachés. Il s’ensuit souvent un enrichissement douteux de ces audacieux oracles des temps modernes, à l’instar des illuminés de Medjugorje (3), en Bosnie-Herzégovine, décrits fidèlement par l’Agence de presse internationale catholique (APIC).
En effet, dans une petite bourgade de la région de Split, six jeunes filles et garçons affirmaient avoir été spectateurs d’apparitions de la Vierge Marie depuis juin 1981. Medjugorge devint ainsi un lieu de pèlerinage largement fréquenté. L’évêque de Mostar s’éleva contre cette dévotion et la ferveur fanatique qui ne pouvaient que « susciter la honte de l’Église ». Dans son rapport adressé au Vatican, il dénonçait l’involontaire hallucination initiale des « voyants » et l’influence des religieux franciscains aux exaltations pseudo-mystiques. Nonobstant, la bande se donna pour rôle d’assister chaque jour à la venue de la mère de Jésus, tout en « orientant » les pèlerins crédules. Les « voyants » finirent par « créer et gérer des pensions complètes, en s’occupant eux-mêmes de la réception, de la cuisine ou du service de table », durant une quarantaine d’années (4).
MENSONGES DÉLIBÉRÉS
Il se manifeste aussi, ici et là, d’ignominieux mensonges délibérés, comme celui d’une Française de Plombières-lès-Dijon, condamnée en première instance pour escroquerie et décédée récemment à l’âge de 69 ans avant son second procès (5). Tout débute dans la nuit du 15 au 16 août 1996, au cours de laquelle la fondatrice d’une association spirituelle prétend avoir vu la Vierge Marie au beau milieu d’une forêt en pleine nuit étoilée. À partir de là, elle affirmera que l’apparition se reproduit tous les 15 du mois, et lui délivre, à la même heure, des messages de la Sainte Marie et de son fils Jésus. Plusieurs adeptes seront enrôlés en rang d’oignons et tenus en lisière par ce qui sera qualifié pénalement « d’abus de faiblesse de personnes en état de sujétion psychologique par une dirigeante […] d’un groupement ayant pour but d’exploiter cet état » (6).
Au risque de peigner la girafe, il ferait beau voir qu’une apparition apporte quoi que ce soit de singulier par rapport à tout ce qui a été annoncé par la sainte Écriture. Jésus-Christ est déjà en charrette où il est censé siéger, comme « Seigneur du cosmos » (Ep 4, 10; 1 Co 15, 24. 27-28), à la confortable droite du Père tout-puissant. Les soi-disant visions ne sauraient donc démentir sa présence au Ciel, sans faire injure à la Bible, sachant qu’il « ne reviendra sur Terre que le jour du jugement dernier » !
Par le Professeur Alain Boutat
Épidémiologiste,
Économiste et Politiste
Lausanne
Pour MEDIAPART
JEU. 26 OCT. 2023
(1) La Croix. « Marie : vraies ou fausses apparitions », 26 février 2020.
(2) Joachim Boufflet. Impostures mystiques, Éditions du cerf, Avril 2023.
(3) APIC. « Yougoslavie : les apparitions mariales de Medjugorje constestées », 23 avril 1990.
(4) Saverio Gaeta. Dossier Medjugorje, Série Nuovi Fermenti, Éditions San Paolo, Février 2020.
(5) Le Progrès. « Dérives sectaires : la gourelle d’Amour et Miséricorde est morte avant son second procès », 25 octobre 2023.
(6) Le Journal du Dimanche. « L’Église reconnaît 16 apparitions dans le monde », 11 janvier 2023.