FISCALITE ET REPRESENTATION : VERS UN PACTE SOCIAL JUSTE POUR LES CAMEROUNAIS DE LA DIASPORA
La fiscalité diaspora est un enjeu central pour le Cameroun, alors que les autorités invitent les non-résidents à se conformer à l’obligation de déclaration de patrimoine et de revenus issus du territoire national.
Cette mesure soulève des questions d’équité sociale, notamment en raison de l’absence de dispositifs clairs pour garantir la transparence des gestionnaires publics et l’égalité devant la loi.
Par ailleurs, la demande de représentation politique par la diaspora devient incontournable pour renforcer leur engagement dans le développement national.
Enfin, des réformes visant une meilleure transparence administrative sont nécessaires pour assurer une application juste et efficace de cette politique.
- Le cadre légal et réglementaire.
L’obligation pour les Camerounais non-résidents de déclarer leurs biens et revenus repose sur les articles 74 bis et 579 (2) du Code Général des Impôts (CGI). Cette mesure, rappelée dans un communiqué du ministre des Finances en date du 27 juin 2024, vise à élargir la base fiscale et à renforcer la transparence fiscale. Cependant subsiste ce que l’on pourrait considérer comme un traitement inégalitaire :
- Application problématique de l’article 66 de la Constitution (1996) : L’absence de décret d’application de cet article sur la déclaration des biens des gestionnaires de la fortune publique crée une perception d’injustice.
- Manque de sanctions pour l’enrichissement illicite : L’absence de dispositions dans le Code pénal pour punir l’enrichissement illicite pose la question de la cohérence dans l’application de la loi à tous les citoyens.
Adéquation avec le droit international…
- L’obligation semble conforme aux pratiques internationales, notamment en matière de taxation des non-résidents ayant des revenus d’origine nationale. Toutefois, le respect des conventions internationales sur la double imposition doit être assuré.
- Les implications économiques et administratives
Élargissement de la base fiscale.
L’objectif principal de cette obligation est de récupérer des revenus fiscaux sur des biens et des revenus d’origine camerounaise possédés par les non-résidents. Cela répond à la faiblesse de l’assiette fiscale actuelle du Cameroun, où le secteur informel et certains biens détenus à l’étranger échappent souvent au contrôle fiscal. Selon le FMI, 45 % du PIB camerounais provient du secteur informel, mais celui-ci ne contribue qu’à 5 % des recettes fiscales.
Barrières administratives.
- Infrastructure insuffisante : Le Cameroun ne dispose pas encore d’un système fiscal complètement informatisé ou accessible à distance. Les non-résidents risquent de rencontrer des obstacles pour déclarer leurs biens et revenus, en particulier s’ils résident dans des pays où les infrastructures fiscales camerounaises n’ont pas de relais.
- Complexité du système fiscal : Le FMI a souligné que le système fiscal camerounais est complexe, avec des exonérations et traitements fiscaux spéciaux difficiles à appliquer. Cela complique la tâche des non-résidents pour comprendre leurs obligations.
Effet sur les investissements.
- Une taxation perçue comme excessive ou mal appliquée peut dissuader la diaspora d’investir dans des biens immobiliers ou des entreprises au Cameroun.
- Les non-résidents pourraient choisir d’investir dans des pays où les régulations sont plus transparentes et les droits de propriété mieux protégés.
Risques économiques.
- Le non-respect de cette obligation pourrait entraîner des sanctions lourdes, mais cela pourrait également causer un désengagement de la diaspora vis-à-vis de l’économie nationale.
- Une mauvaise communication de la mesure pourrait également être interprétée comme punitive plutôt que contributive.
- Considérations sociales et sociologiques.
Perception d’injustice sociale.
- Double standard : Le fait que les gestionnaires de la fortune publique, qui devraient être les premiers à déclarer leur patrimoine, ne soient pas soumis aux mêmes exigences affaiblit la légitimité de cette obligation.
- Diaspora comme bouc émissaire : Historiquement, la diaspora a été perçue comme un groupe extérieur ou opposant, souvent tenu responsable de l’agitation politique ou des critiques à l’encontre du régime. Cela exacerbe les tensions sociopolitiques.
Impact sur les relations diaspora-gouvernement
- La diaspora joue un rôle clé dans le financement de projets locaux à travers les transferts de fonds (plus de 300 milliards FCFA par an, selon certaines estimations).
- Une taxation perçue comme injuste pourrait affecter la solidarité économique entre la diaspora et le Cameroun.
Rôle des droits politiques.
L’absence de représentation politique pour la diaspora soulève une question fondamentale d’équité. Une taxation sans représentation pourrait être perçue comme une violation du contrat social entre l’État et ses citoyens non-résidents. Des pays comme le Sénégal, le Mali ou le Ghana permettent à leur diaspora de voter ou même d’être représentée dans leurs parlements nationaux, ce qui favorise une coopération positive.
- Respect du principe d’égalité.
Application uniforme des obligations fiscales
Le principe d’égalité devant la loi exige que toutes les catégories de citoyens soient soumises aux mêmes règles. Cependant :
- Gestionnaires publics : L’absence de déclaration des biens par les fonctionnaires et l’inexistence de sanctions pour l’enrichissement illicite créent un sentiment de déséquilibre.
- Proportionnalité des obligations : Les non-résidents doivent parfois déclarer des revenus difficiles à localiser ou soumis à des conventions internationales, ce qui peut engendrer des coûts supplémentaires de mise en conformité.
Discrimination indirecte.
L’obligation de déclaration pourrait indirectement pénaliser les membres de la diaspora qui manquent d’informations ou d’accès aux outils nécessaires pour se conformer à cette exigence, créant une inégalité par rapport aux citoyens résidents qui disposent de services locaux.
Reconnaissance des droits.
L’exigence fiscale devrait être compensée par des droits équivalents, notamment la reconnaissance de la diaspora comme partie intégrante de la vie politique, économique et sociale du pays. Sans cela, la mesure risque d’être perçue comme une injustice.
Recommandations pratiques
- Simplification des procédures administratives.
o Digitalisation complète : Développer une plateforme numérique accessible à distance pour permettre aux non-résidents de déclarer facilement leurs biens et revenus.
o Services dédiés : Créer des unités spécialisées pour assister la diaspora dans leurs démarches fiscales.
- Mesures d’accompagnement et incitations.
o Réduction des charges : Offrir des exemptions ou des réductions fiscales sur les investissements productifs réalisés par la diaspora.
o Période de grâce : Introduire une phase transitoire (par exemple, deux ans) où les sanctions pour non-conformité seraient suspendues, le temps d’implémenter la mesure efficacement.
- Transparence au niveau local.
o Application de l’article 66 de la Constitution : Imposer une déclaration obligatoire pour tous les gestionnaires publics et publier leurs déclarations pour montrer l’exemple.
o Création d’une loi contre l’enrichissement illicite : Renforcer les mécanismes juridiques pour punir les abus au niveau national.
- Reconnaissance des droits politiques.
o Représentation parlementaire : Attribuer des sièges spécifiques à la diaspora dans le Parlement camerounais.
o Facilitation du vote à distance : Mettre en place un système de vote électronique pour les non-résidents.
- Amélioration de la communication.
o Campagnes de sensibilisation : Informer la diaspora sur les raisons, modalités et avantages de cette mesure fiscale, en insistant sur l’impact potentiel sur le développement national.
o Dialogue participatif : Créer des forums entre le gouvernement et les représentants de la diaspora pour discuter des réformes fiscales et économiques.
- Reconnaissance symbolique et économique.
o Mettre en place des mécanismes pour reconnaître les contributions de la diaspora, comme des certificats d’honneur nationaux pour les grands investisseurs.
o Offrir des avantages tels que des exonérations sur les envois de biens ou une réduction des frais de transfert de fonds.
Pour que cette mesure réussisse, elle doit être juste, inclusive et bien communiquée. En équilibrant obligations et droits, en instaurant une transparence locale et en renforçant les relations avec la diaspora, le Cameroun peut non seulement élargir sa base fiscale, mais aussi renforcer son tissu économique et social à long terme.
@Adrien Macaire Lemdja