PAS DE RECONCILIATION SANS VERITE : LA FRANCE FACE A SON PASSE COLONIAL AU CAMEROUN.
« Le Cameroun, bien que déclaré indépendant en 1960, a continué de subir une forte influence néocoloniale de la part de la France, qui a soutenu un régime autoritaire garantissant la préservation de ses intérêts stratégiques.
Cette indépendance sous tutelle a été précédée par une violente répression des mouvements nationalistes, notamment l’UPC, dont les leaders furent traqués, emprisonnés ou assassinés.
Héritée de la colonisation, cette politique répressive visait à empêcher toute remise en question du pouvoir en place et à contenir l’essor des idées souverainistes.
Aujourd’hui, les débats autour de cette période s’inscrivent dans une démarche de réhabilitation et de travail sur la mémoire, avec pour enjeu d’obtenir une reconnaissance officielle du rôle de la France et de ses responsabilités historiques. »
- Résumé du rapport.
Le rapport de la Commission franco-camerounaise, remis aux autorités françaises et camerounaises le 21 janvier et 28 janvier 2025, examine en profondeur l’implication de la France dans la répression des mouvements indépendantistes et d’opposition au Cameroun entre 1945 et 1971.
Il est structuré en plusieurs sections chronologiques, retraçant la montée du nationalisme camerounais et les stratégies mises en œuvre par la puissance coloniale pour maintenir son influence.
- Section 1 (1916-1955) : Présente l’émergence des mouvements indépendantistes, notamment l’UPC, et la réaction progressive des autorités françaises pour maintenir le contrôle sur le Cameroun, considéré comme un territoire stratégique.
- Section 2 (1955-1960) : Décrit la transformation des répressions en un conflit ouvert, la France engageant des moyens militaires, judiciaires et diplomatiques pour écraser les mouvements de libération.
- Section 3 (1960-1965) : Analyse la période postindépendance, où la France, malgré la reconnaissance officielle de la souveraineté camerounaise, maintient un contrôle étroit à travers des réseaux politiques et militaires influents.
- Section 4 (1965-1971) : Explique comment la coopération militaire et les liens diplomatiques entre les deux pays ont permis à la France de continuer à influencer la répression des mouvements d’opposition sous Ahmadou Ahidjo.
Basé sur l’analyse de milliers de pages d’archives, de récits et de témoignages recueillis en France et au Cameroun, le document met en lumière les actions militaires et politiques menées par la France pour contrer les aspirations indépendantistes camerounaises.
Il souligne notamment la répression sévère exercée par les forces françaises avant et après l’indépendance du Cameroun en 1960.
Le rapport vise à rétablir les faits historiques et à favoriser une compréhension mutuelle entre les deux nations.
- Contexte historique et politique.
Le Cameroun fut placé sous mandat de la Société des Nations après la Première Guerre mondiale, puis sous tutelle française après la Seconde Guerre mondiale.
Cette tutelle fut utilisée par la France pour asseoir son contrôle, empêchant l’émergence d’une élite indépendantiste véritablement autonome.
Après la Seconde Guerre mondiale, à partir de 1945 précisément, le Cameroun, alors sous mandat français, voit émerger des mouvements nationalistes réclamant l’indépendance, notamment l’Union des Populations du Cameroun (UPC), menée par Ruben Um Nyobè et ses camarades Roland Félix Moumié, Ossende Afana, Ernest Ouandié. Um Nyobè, devenant le principal acteur de la lutte pour l’indépendance.
Face à son influence croissante, la France entreprend une répression systématique, incluant assassinats politiques, arrestations massives et stratégies contre-insurrectionnelles entrainant des centaines de milliers de morts (la fourchette oscille entre 400.000 et 1 million) et des milliers déplacés.
L’usage du napalm en pays Bamileké et les massacres en pays bassa ne peuvent pas être de simples crimes. Il s’agissait d’opérations systématiques et organisées touchant des populations, indépendamment de la présence de combattants pour l’indépendance. Si ce n’est pas un génocide, de quoi s’agit-il donc ?
Malgré l’indépendance proclamée en 1960, la France continue d’exercer une influence significative sur la politique camerounaise, soutenant le régime en place contre les opposants.
Régime qui, selon Pierre Messmer, ne voulait pas de l’indépendance. La France avait « donné l’indépendance à ceux qui n’en voulaient pas ».
L’ »indépendance » de 1960 est décrite comme une indépendance sous influence, avec un transfert du pouvoir à Ahmadou Ahidjo, un leader modéré soutenu par Paris pour garantir la continuité des intérêts français.
Ce contexte s’inscrit dans une période plus large de décolonisation en Afrique, où la France cherche à préserver ses intérêts stratégiques et économiques.
Elle se résume par la formule selon laquelle, la France a donné, d’une main, l’illusion d’une indépendance à ses ex-colonies ou territoires sous tutelle pour aussitôt la reprendre d’une autre main, à travers ce qu’on a appelé la Françafrique.
- Analyse critique.
Méthodologie et sources.
Le rapport repose sur un corpus de sources considérable :
- Archives nationales françaises et camerounaises
- Témoignages d’acteurs politiques et militaires
- Études académiques et rapports de presse rigoureusement documenté, le rapport soulève certaines interrogations quant à l’accessibilité des archives militaires françaises, dont certaines restent classifiées. Il aborde néanmoins la difficulté d’évaluer objectivement les responsabilités françaises en raison de la destruction volontaire de certaines archives.
Limites.
Le rapport adopte une approche analytique équilibrée, reconnaissant la responsabilité de la France dans les violences tout en soulignant le rôle des élites camerounaises dans la répression postindépendance.
Cependant, »néocolonialisme » y est parfois utilisé de manière discutable, certains historiens jugeant cette vision trop simplificatrice pour expliquer la complexité des relations franco-camerounaises.
Par ailleurs, la dépendance aux sources officielles françaises pourrait introduire un biais, minimisant les perspectives camerounaises.
De plus, l’absence de certaines archives, potentiellement détruites ou non accessibles, peut restreindre la compréhension complète des événements.
Néanmoins, le rapport s’efforce de présenter une analyse équilibrée, reconnaissant les responsabilités françaises tout en contextualisant les actions dans le cadre géopolitique de l’époque.
- Conséquences historiques, politiques et sociales.
Les conclusions du rapport ont des implications majeures sur les plans historique, politique et social.
Historiquement, elles contribuent à une réévaluation du récit colonial français, reconnaissant les exactions commises et les souffrances endurées par le peuple camerounais.
Politiquement, cette reconnaissance peut influencer les relations diplomatiques entre la France et le Cameroun, ouvrant la voie à des discussions sur des réparations ou des excuses officielles.
Socialement, le rapport participe à la reconstruction de la mémoire collective, offrant aux descendants des victimes une forme de reconnaissance et de justice symbolique.
Impact sur les relations franco-camerounaises.
L’héritage de cette période continue d’influencer les relations bilatérales. Le soutien français à Ahmadou Ahidjo a posé les bases d’un régime autoritaire et d’un modèle de gouvernance marqué par la centralisation du pouvoir et la répression politique.
Ce jacobinisme dont on paie le prix aujourd’hui avec la crise au NOSO.
Reconnaissance.
Le rapport plaide pour une reconnaissance officielle du rôle de la France dans la répression au Cameroun.
Il recommande la mise à disposition des archives, l’instauration d’une journée nationale du souvenir et la réhabilitation des figures indépendantistes.
- Réflexion sur les enjeux mémoriels.
L’une des grandes forces du rapport est son exploration des mémoires divergentes de cette période :
- En France, une mémoire largement occultée, avec peu de reconnaissance officielle du rôle de l’armée française dans la répression.
- Au Cameroun, une mémoire douloureuse mais fragmentée, du fait des politiques de censure mises en place sous Ahidjo.
Le rapport préconise la nécessité d’un dialogue historique et mémoriel entre les deux pays afin de favoriser une réconciliation basée sur la vérité et la reconnaissance des faits.
Mais cette vérité ne saurait se construire sur une dilution des responsabilités de la partie française. Mettre sur la même balance les donneurs d’ordres et les exécutants dans les actes commis pendant cette période relève de la supercherie.
Sans nier les responsabilités de nos élites de l’époque dont la complicité serait avérée, la France a agi conformément à ses intérêts, trouvant des bras séculiers dans une élite locale qu’elle a contribué à façonner, à installer et à aider pour gouverner.
Il soulève des questions essentielles sur la mémoire coloniale et la nécessité de confronter les passés douloureux pour construire un avenir commun.
Il met en évidence l’importance de la reconnaissance des torts historiques et de la réconciliation entre les anciennes puissances coloniales et les nations colonisées.
Cette démarche s’inscrit dans un mouvement plus large de décolonisation de la mémoire, où la transparence et le dialogue sont essentiels pour surmonter les traumatismes du passé.
Conclusion.
Le rapport de la Commission franco-camerounaise constitue un premier pas dans une démarche globale qui, nous l’espérons, permettra au Cameroun de se débarrasser des scories dans sa relation avec la France.
C’est une contribution significative à la compréhension des relations franco-camerounaises durant la période de 1945 à 1971.
Toutefois, des défis demeurent quant à l’accès aux archives militaires françaises et à la volonté politique d’assumer cette histoire.
Malgré les limites inhérentes à l’accès aux sources, il offre une analyse approfondie des actions françaises contre les mouvements indépendantistes camerounais.
Ses conclusions invitent à une réflexion sur les responsabilités historiques et ouvrent des perspectives pour un rapprochement entre la France et le Cameroun, fondé sur la reconnaissance et la compréhension mutuelle.
Cette analyse serait complète si nos historiens s’en approprient et continuent le travail de recherche comparée et contradictoire afin que notre devoir et surtout notre obligation mémorielle soit assumée pour le bénéfice des générations à venir.
L’écrivain et philosophe espagnol George Santayana dans son œuvre « The Life of Reason (1905) », écrivait :
« Those who cannot remember the past are condemned to repeat it. »
(Ceux qui ne peuvent se souvenir du passé sont condamnés à le répéter.)
Autrement dit « Un peuple qui ne connaît pas son histoire est condamné à la revivre. »
Cette pensée met en garde contre l’oubli des leçons de l’histoire et souligne l’importance de la mémoire collective pour éviter de reproduire les erreurs du passé.
@Adrien Macaire Lemdja