RISQUES SANITAIRES ET « MALCHIMIE » ALIMENTAIRE
L’usage pernicieux de produits chimiques dans l’alimentation est de plus en plus alarmant. Au manque de transparence dans l’approvisionnement et la transformation des inputs de production, en amont du cycle économique d’exploitation, peuvent s’ajouter, en aval, des risques sanitaires dans la distribution des outputs destinés à la consommation.
Cette situation est particulièrement préoccupante dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, où des dispositifs réglementaires et légaux ont pourtant été formellement institués, depuis plusieurs années, avec la création des agences nationales autonomes de normalisation et de qualité. Force est cependant de constater, selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), que les acteurs de la sécurité sanitaire et de la chaîne alimentaire « ne comprennent pas tous le rôle » non négligeable qui leur est dévolu, afin de renforcer rigoureusement la santé communautaire (1).
IODATE ET BIOMATE DE POTASSIUM
En effet, la production et la distribution des aliments entraînent souvent la présence de doses plus ou moins élevées de substances chimiques. Outre la transmission naturelle des toxines accumulées dans les cultures et la contagion environnementale des polluants organiques ou métalliques, il y a lieu de souligner la contamination humaine par le traitement chimique des récoltes et l’insertion des additifs alimentaires.
Prenons les cas de l’iodate et du bromate de potassium. Ils constituent des substances chimiques potentiellement dangereuses pour la santé humaine. Malheureusement, ces composés inorganiques sont quelquefois utilisés, lors de la fabrication du pain en boulangerie, comme additifs alimentaires ou adjuvants dans la farine de blé, en vue de rendre la pâte plus ferme et de faire gonfler la levée au moment de la cuisson.
DÉTOURNEMENT D’USAGES ORIGINELS
Les résultats d’une étude menée en Inde par le « Centre for Science and Environment » (CSE) montrent que 84% du pain vendu dans le pays contiendrait de l’iodate de potassium et du bromate de potassium (2). Alors que l’iodate de potassium peut entraîner une irritation des voies respiratoires, des yeux et de la peau, le bromate de potassium est, lui, susceptible de causer des tumeurs malignes, des douleurs abdominales récurrentes, des défaillances dans les fonctions rénales, des affections pulmonaires et des dysfonctionnements aigus du système nerveux.
Il est ainsi regrettable que certains acteurs de l’agroalimentaire continuent d’œuvrer dans le détournement d’usages originels des produits chimiques nocifs, en faisant bon marché de la santé des consommateurs, à l’instar de l’éthylène de synthèse éthéphon et de l’aldéhyde formique, souvent mis à profit pour controuver la maturation de la banane ou pour octroyer l’apparente verdure aux légumes.
VEILLE SANITAIRE DE L’ALIMENTATION
De fait, les troubles d’origine alimentaire entravent le développement de plusieurs nations, en sollicitant lourdement les centres hospitaliers et en portant sérieusement dommage aux économies déjà anémiées. La Banque mondiale (BM) a publié un rapport sur l’impact financier notable des pathologies de source alimentaire. Elle estime que, dans les pays à revenu faible et intermédiaire, « les pertes annuelles de production provoquées par ces pathologies s’élèvent à 95,2 milliards de dollars US, et le coût annuel des traitements administrés à 15 milliards de dollars US » (3).
Il en résulte que les États devraient ériger en priorité de santé publique la veille sanitaire de l’alimentation, car ils sont censés politiquement intervenir dans l’élaboration des cadres réglementaires et dans la mise en œuvre des procédures de répression des fraudes avérées. Auprès des consommateurs, la prévention gagnerait à s’articuler autour des mesures éducationnelles et informationnelles sur les risques sanitaires, tandis que la sanction des marionnettistes coupables de « malchimie » alimentaire s’exercerait sévèrement au-delà des peines pécuniaires habituelles.
Par le Professeur Alain Boutat
Épidémiologiste
Économiste et Politiste
Lausanne
MEDIAPART MER. 4 OCT.2023
(1) OMS. « Sécurité sanitaire des aliments », 06/08/2020.
(2) CSE. « Potassium Bromate or Potassium Iodate in Bread », 23/05/2016.
(3) BM. « The Safe Food Imperative : Accelerating Progress in Low- and Middle-Income Countries », 23/10/2018.