MALADIES VECTORIELLES CAUSÉES PAR DES MOUSTIQUES
Les moustiques forment une famille d’insectes qui jouent un rôle non négligeable sur les plans à la fois écosystémique et épidémiologique. Une centaine de femelles sur plus de 3 500 espèces représentent un véritable tourment et constituent des vecteurs majeurs d’agents pathogènes aux conséquences graves pour l’Homme.
Les premiers moustiques sont apparus au début du Jurassique, il y a 200 millions d’années, se délectant probablement du nectar floral, de la sève des plantes et de l’hémoglobine des dinosaures. Environ 190 millions d’années plus tard, ils ont gagné au change réel avec l’arrivée de nos ancêtres hominidés, à la peau plus douce, qui ont ainsi dû subir les effets néfastes des germes nocifs de Culicidés, à l’instar des virus du Zika, de la dengue ou du chikungunya et des parasites protozoaires du paludisme ou de la filariose lymphatique.
PATHOLOGIES À TRANSMISSION VECTORIELLE
La femelle anophèle dépasse à peine cinq millimètres, mais elle est le vecteur de morbidité le plus puissant de tout le règne animal (1). Elle repère sa victime grâce à l’odorat, attirée par l’acide lactique de la transpiration, et détecte le dioxyde de carbone expiré. Plus la cible s’active à vouloir éloigner la bête du corps, plus la microprédatrice hématophage revient-elle avec ses pièces buccales en forme de fine trompe, renfermant une sorte d’aiguille hypodermique qui lui sert à percer la peau de l’hôte involontaire et à sucer le sang nécessaire à la ponte des œufs. Elle peut alors accomplir sa funeste livraison de pathogènes, avant de crever fatalement quelques semaines après.
Parmi les pathologies à transmission vectorielle, le paludisme est responsable de plus d’un million de décès chaque année sur notre planète (2), dont deux tiers en Afrique subsaharienne, en majorité des enfants ; ce qui fait du moustique l’animal le plus meurtrier au monde (3), suivi par l’être humain (475 000 décès), devant le lisse escargot d’eau douce coupable de la schistosomiase (300 000 décès), le serpent venimeux (130 000 décès) et le chien (35 000 décès).
HABILES CULICIDÉS
Outre l’infection parasitaire du Plasmodium par les moustiques du genre Anopheles, des arboviroses sont attribuées aux moustiques des genres Culex et Aedes. Si le vaccin existe bel et bien contre le virus du chikungunya, son traitement ne porte que sur le soulagement antalgique des douleurs, tandis qu’il n’y a ni thérapie spécifique ni vaccin contre le Zika ; pendant que plus de 3,9 milliards d’individus de 132 pays sont exposés à l’infection virale de la dengue, avec 96 millions de cas symptomatiques et 40 000 décès chaque année (4).
Souvent considérées comme des affections purement tropicales, les maladies vectorielles ont tendance à s’internationaliser, même si elles restent endémiques dans les pays du Sud. Les habiles Culicidés profitent des mobilités humaines et du réchauffement climatique pour pérégriner au-delà des frontières territoriales. Les insectifuges, les moustiquaires imprégnées et les indications de santé préventive sont certes utiles, mais insuffisants pour s’opposer aux plus mortels ennemis de l’Homme ; ceux-ci étant de moins en moins sensibles aux parasiticides classiques et aux molécules pharmaceutiques.
RAPPORTS AVEC LES MOUSTIQUES
Dans nos rapports avec les moustiques, des alliés ne sont pas rares : les plantes à polliniser ou avides de nutriments et les animaux qui se régalent d’eux ou de leurs larves, l’écosystème terrestre par le transfert de la biomasse et l’industrie chimico-pharmaceutique par le gain de revenus. Que deviendraient, par exemple, des libellules, des oiseaux ou des poissons s’il s’avérait possible d’éliminer les diptères incriminés et de rêver islandais ? Ne faudrait-il pas plutôt les « soigner », protéger leurs fonctions écologiques et contenir la sévère morbidité qu’ils induisent ? L’une des pistes réside sans doute dans le génie génétique, tout en poursuivant la vitale recherche sur le renforcement des défenses immunitaires, qui, aujourd’hui, est encore lacunaire, 140 ans après le premier vaccin de Louis Pasteur et 127 ans après la forte causalité malarienne établie par Ronald Ross.
En effet, il est urgent d’explorer de nouvelles voies pour affliger les maladies à transmission vectorielle. Les expériences réalisées sur des mouches pathogènes sont prometteuses : les femelles qui ont copulé avec les mâles rendus « toxiques » ont vu leur durée de vie décliner (5). Les moustiques redoutés sont eux aussi génétiquement modifiables, soit en les infectant avec des bactéries pour bloquer les germes nocifs (paratransgénèse), soit en faisant varier leurs gènes à des fins de reproduction sexuée (guidage génétique). Tout cela n’est ni simple ni gratuit, mais le défi connexe est d’éviter des risques non maîtrisables pour les êtres humains et les espèces innocentes.
Par le Professeur Alain Boutat
Épidémiologiste,
Economiste
Politiste
Lausanne
Pour MEDIAPART
JEU. 16 JANV. 2025
(1) Sauthier N. « Moustique, ennemi public », La Salamandre, No 199, août 2010.
(2) Casey C. « Le moustique, animal le plus mortel pour l’homme », Slate, 31/08/2010.
(3) Guéguen J-C. Biodiversité et évolution du monde animal, EDP Sciences, 2016.
(4) OMS. Maladies à transmission vectorielle, WHO, Genève, 26/09/2024.
(5) Shüné O., Jaishree R. « Genetically modified Mosquitoes strengthen war on malaria », Alliance for Science, 23/09/2023.