COMMUNAUTES ET TENSIONS COMMUNAUTAIRES
AU CAMEROUN : QUELLE GESTION OPPORTUNE ?
L’état de la sociologie actuelle du Cameroun donne de notre pays l’image d’un environnement particulièrement conflictogène. En effet avec ses plus de deux cent cinquante groupes ethniques, ce qui, de l’avis de nombre d’analystes, aurait pu être pour cette Afrique en miniature un atout enviable, donne plutôt l’impression de le pousser vers les précipices de l’abominable. Il faut être sourd pour ne pas entendre les Camerounais s’inquiéter ; il faut être aveugle pour ne pas voir les mines songeuses de nos compatriotes face aux évènements qui secouent le pays ; il faut être insensible pour ne pas fleurer les inquiétudes caractérisées les conversations.
Il n’est pourtant pas dit qu’un pays dont l’hétérogénéité ethno-tribale est si prononcée que la nôtre est voué à la perdition ; car en effet, la violence, la haine et la guerre sont des phénomènes plutôt consubstantiels à l’homme et aux sociétés humaines. Et même, le cadre d’une multiplicité tribale comme facteur amplificateur des risques d’embrasement, comme d’aucuns voudraient nous le faire croire, mériterait d’être nuancé. Cela n’empêche pourtant pas de réfléchir à ce qui se passe autour de nous, par devers nous et à travers nous, et pour ce faire, il importe de noter que plusieurs semaines après la grande rencontre de Yaoundé, deux faits saillants en ressortent à savoir le besoin manifeste de penser les problèmes des Camerounais, et la nécessité de situer sur la voie de la construction de notre vivre-ensemble un ingrédient dont le pouvoir régulateur, préventif et curatif semble incontestable : le Dialogue.
Il y a lieu de souligner qu’après plus d’un demi-siècle d’Etat-Nation et de son corolaire, l’intégration nationale, les Camerounais vivent une expérience humaine et républicaine qui n’a cessé de croitre dans la perspective d’une naturalisation d’évidence ; du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest, les axes migratoires des Camerounais au sein du triangle national ont décuplé et les acquis, affermi le sentiment ô combien noble d’appartenir à une communauté fraternelle. Certes, dans cette dynamique, rien n’est parfais. Mais devrait-on objectivement s’attendre à ce que quelque chose le soit ? Que non. En revanche, il nous incombe de prendre à cœur, une bonne fois pour toutes, de piloter, de tracer et de baliser les orientations qui feront du Cameroun un bien réellement commun à tous les Camerounais et au sein duquel chacun de nos compatriotes se saura en sécurité et redevable.
Aussi en convoquant le Dialogue entre les Camerounais, l’objectif fondamental est-il tout d’abord de capitaliser les orientations et les volontés manifestées par les uns et les autres d’assainir durablement la cohabitation entre les filles et les fils de notre pays, volontés dont le GDN aura, en son temps, façonné l’écho ; c’est ensuite renforcer la dimension située que revêt la concertation pour des communautés humaines caractérisées ou non par une profonde hétérogénéité ; c’est enfin la possibilité d’étendre le cadre d’arbitrage et le pouvoir de participation à une régulation nationale des communautés ethno-tribales qui refusent d’être, dans l’avenir, instrumentalisées, récupérées et chosifiées pour semer la confusion et le chaos. Mais cette fois, comme dans un élan de prolongement, il s’agit d’une initiative qui vise à cataloguer le Dialogue comme valeur cardinale de notre vivre-ensemble, ceci en l’inscrivant dans nos mœurs républicaines quotidiennes. Appelons cette initiative LES DIALOGUES ETHNO-COMMUNAUTAIRES.
LES DIALOGUES ETHNO-COMMUNAUTAIRES : QUELQUES ELEMENTS DE DEFINITION ET DE MATERIALISATION
– socialisation d’une initiative éminemment institutionnelle
Il s’agit d’irradier tous les coins du Cameroun par une initiative dont la teneur véhicule les aspirations des Camerounais, et dont la teneur a été formulée par la voix la plus autorisée du Cameroun : le Président de la République, incarnation humaine des institutions. En effet,
Un « pare-feu » de proximité
Pour prévenir et étouffer dans l’œuf les éventuelles stratégies et tentatives de déstabilisation ourdies contre les Camerounais, les DIALOGUES ETHNO-COMMUNAUTAIRES sont le bras de suivi de la vie des communautés à l’échelle locale. À travers eux, les communautés pourront prendre des engagements les unes vis-à-vis des autres. Engagements visant à recourir, à chaque fois que les circonstances l’imposeront, à la concertation automatique de notre mosaïque.
Le renforcement d’une logique inclusive
Les DIALOGUES ETHNO-COMMUNAUTAIRES se donnent la singularité de convoquer à l’effort d’édification permanent du vivre-ensemble les classes populaires dans la conformité d’une praxis fortement inclusive. Autrement dit, les parties prenantes aux assises des DIALOGUES ETHNO- COMMUNAUTAIRES doivent être issues des profondeurs aussi bien de nos villes que de nos campagnes avec la participation des instances structurelles disséminées dans le tissu sociologique national (Associations, GIC, Cercles, Foyers, Syndicats, etc.).
Une application d’initiative strictement organique
Pour la tenue des DIALOGUES ETHNO-COMMUNAUTAIRES, les Régions sont appelées à initier elles-mêmes leurs assises en conformité avec leurs réalités, déterminer le calendrier, penser les thématiques à aborder. Placés sous l’impulsion et la coordination des Gouverneurs des Régions, les DIALOGUES ETHNO- COMMUNAUTAIRES penseront le fonctionnement des Hommes en rapport avec les réalités et les aspirations politiques et économiques des populations. Dans un contexte où la charge émotionnelle investie dans la communauté impacte considérablement la vie des populations, les Régions de notre pays pourront, dans le cadre des DIALOGUES ETHNO- COMMUNAUTAIRES, asseoir les bases d’une cohabitation collégiale avec un regard d’ensemble orienté vers un avenir commun.
Une périodicité calibrée en fonction des grands évènements nationaux
Même si les circonstances ou les conjonctures peuvent exiger leur tenue, la convocation des DIALOGUES ETHNO-COMMUNAUTAIRES pourrait prioritairement et impérativement se faire à l’approche des grands évènements nationaux (Elections, Fête de l’unité, etc…). L’objectif étant de sonder et d’anticiper sur les risques de débordement à caractère communautaire. Dans la mesure où certains des évènements nationaux vécus par les communautés dans la sphère nationale se font avec des indices d’évaluateur, d’incitateur et de marqueur nationaliste, les DIALOGUES ETHNO- COMMUNAUTAIRES pourraient être les cadres d’échanges carburant à dénaturer les tendances aux replis identitaires sous toutes les formes, avec en ligne de mire la réussite et la bonne tenue des grands évènements nationaux.
– Une option de transversalité
En dépit de son caractère « souverain », le fonctionnement des DIALOGUES ETHNO- COMMUNAUTAIRES ouvre une perspective à la transversalité des expériences vécues par les populations de nos différentes Régions. Ce serait donc le lieu ici d’entrevoir un partage des usages, des coutumes, des habitudes ou des pratiques dont l’implémentation aurait abouti à des résultats concluant ici ou là. A cet effet, des experts évoluant dans l’espace local, national ou international pourraient à l’occasion être convoqués pour donner leurs avis et éprouver leur maîtrise de notre mosaïque communautaire.
Nathanaël ASSAM OTYA’A
(Historien social)