CAMEROUN : CHAMAILLE DANGEREUSE DE CHEFFERIES

Dans la région de l’Ouest-Cameroun, le département du Noun connaît de vives tensions entre Bamoun et Tikar. Outre les conséquences désastreuses de telles dissensions communautaires, adossées sur une allégeance nocive à des chefferies traditionnelles, la problématique de leur pérennité, dans un État présumé moderne, s’impose à l’esprit.

Les chefferies traditionnelles constituent au Cameroun un échelon de l’organisation administrative et sont hiérarchisées par degrés selon leur ampleur spatiale ou historique : le premier degré couvre au moins deux chefferies de deuxième degré, sur un territoire ne dépassant pas celui d’un département ; le deuxième degré s’étale sur deux chefferies de troisième degré au moins, dans les limites d’un arrondissement ; le troisième degré concerne simplement un village ou un quartier urbain.

ANIMOSITÉS LATENTES

Le Sultan Bamoun actuel est un chef de premier degré, vingtième descendant d’une dynastie instaurée dès le XIVe siècle, dont le fief fut jadis unifié par un prince Tikar. Le groupement Magba, aujourd’hui en ébullition, fut dirigé de 1945 à 1958 par un Tikar. À sa mort, le sultan d’alors réussit à introniser son propre frère, qui y régna durant 17 ans. En 1975, les notables Tikar décidèrent de choisir eux-mêmes leur nouveau chef. Cette décision serait, depuis lors, à l’origine d’animosités latentes.

Quelle est alors l’étincelle qui a mis le feu aux poudres, jusqu’au point d’embarquer les « rois » Bamoun et Tikar dans une médiation, sous la houlette du véritable « chef de terre » de leur indivise circonscription administrative ? Dans cette chamaille dangereuse, il apparaît que le chef Tikar de degré inférieur a appelé insoucieusement « mon fils » le jeune chef Bamoun de premier degré, reçu en visite majestueuse à Magba. Le chef Tikar a aussitôt été déshabillé, brutalisé et contraint de s’asseoir aux pieds du visiteur Sultanien par ses sujets survoltés.

À la lecture des réactions et des atrocités résultantes, il semble que la référence à l’histoire soit la source d’interprétations contradictoires et de malentendus faciles. Le chef Tikar s’est sans doute souvenu de son très lointain aïeul, unificateur du « pays Bamoun », pour considérer le sultan comme son « fils ». Et ce dernier a dû se prévaloir de longues périodes de domination des Tikar par son ascendance, pour s’affranchir d’une parenté rendue fruste par le temps et le haut degré hiérarchique de sa chefferie.

MENACES À LA PAIX CIVILE

Il est toutefois regrettable que de telles postures amphibologiques et égocentriques débouchent sur de violentes confrontations qui constituent des menaces à la paix civile. De fait, la rancœur et le mépris, sous des oripeaux historiques ou ethniques, rendent les êtres humains cruels. Non seulement ils excitent les haines et les fiels larvés, mais ils sont également de nature à enterrer les vivants et à déterrer les morts.

Des exemples odieux abondent et doivent inciter les protagonistes à une solide rétrospection et à une profonde circonspection dans les paroles ou les actes qui peuvent faire exploser la poudrière de graves catastrophes irréversibles. Le Noun est un formidable département qui contribue à l’extraordinaire diversité du Cameroun. Ses chefferies traditionnelles ont le devoir d’éviter que les démons de la destruction ne hurlent en elles et finissent par soumettre leur beau pays à des fléaux suicidaires.

Dans les conditions affligeantes du moment, où la fierté égotiste l’emporte sur les considérations d’un vivre-ensemble organique, il y aurait lieu de parier que ces « royautés », en cas de persistance des troubles aigus dans l’avenir, ne devront plus leur existence artificieuse qu’à la faveur d’une reconnaissance spécieuse d’un État-parrain. Aussi présentent-elles désormais des signes précurseurs de forte vulnérabilité.

COURONNES COUTUMIÈRES EN DÉCLIN

Au-delà des hostilités réciproques dans le Noun, il est connu mouches en lait que l’État n’a de cesse de limiter le pouvoir qu’avaient auparavant les chefs traditionnels. Les décisions leur accordant dorénavant les statuts rémunérés d’auxiliaires administratifs et, le cas échéant, de conseillers régionaux, y concourent de manière insidieuse. Ces nouvelles fonctions ne sont-elles pas des sinécures attribuées à de supposés « monarques », exposés par surcroît à des sollicitations communautaires multiples ?

Selon plusieurs observateurs avisés, les chefferies moins moribondes bénéficieraient en plus de discrètes largesses personnalisées et de nominations familiales ciblées, destinées à ramollir efficacement des individualités furibondes, notamment lors de tumultes exacerbés ou de rendez-vous électoraux. Que peut-on alors raisonnablement attendre de telles chefferies ? N’est-ce pas de la figuration ou de la reptation ?

De manière générale, les couronnes coutumières s’avèrent en déclin, car elles se sont vues dépouiller de leurs attributs d’antan. Le premier coup de massue vint en 1963, avec la décision de la cour suprême établissant la primauté des lois républicaines sur les traditions. Par la suite, les litiges traités par les chefferies ont été peu à peu transférés aux tribunaux de première instance, leur laissant ainsi les maigres cas de vide législatif.

TRADITIONS FRAPPÉES D’OBSOLESCENCE

En matière cadastrale, la propriété coutumière a été larguée au profit du titre foncier, sous peine de déchéance. Par ailleurs, l’hérédité des chefferies, bien que tolérée, contredit le principe constitutionnel selon lequel « les individus naissent libres et égaux en droit ». Or, il est courant d’assister à des successions qui vont du « de cujus » à un descendant pré-choisi à sa discrétion, comme s’il s’agissait d’un patrimoine personnel.

Qui plus est, les « Majestés » ont elles-mêmes du mal à ressusciter et à faire respecter des traditions frappées d’obsolescence. À cela s’ajoute la prolifération des dérives d’improbité, de vénalité et de mendicité commises par des « souverains » folkloriques, qui finissent par perdre, de fil en aiguille, leur soi-disant crédibilité et leur apparente notabilité auprès des populations meurtries par des souffrances polymorphes.

Le temps de la sagesse est donc aujourd’hui à la dignité, à la proactivité et à la responsabilité, à l’abri des rets de l’altérité divisionnelle et du chant des sirènes de la désintégration. En œuvrant progressivement dans ce sens prometteur, les chefferies traditionnelles démentiraient en parallèle « la fable des bois flottant sur l’eau » qui les caractérise. Elles initieraient alors un rôle plus engagé dans l’édification d’une nation républicaine.

Par le Pr. Alain Boutat

Épidémiologiste,

Économiste et Politiste

MEDIAPART

6 FÉVR. 2023

Lausanne

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Our Visitor

0 0 8 3 8 9
Users Today : 21
Users Yesterday : 23
Users Last 7 days : 220
Users Last 30 days : 892
Users This Month : 656
Users This Year : 3145
Total Users : 8389
Views Today : 47
Views Yesterday : 62
Views Last 7 days : 490
Views Last 30 days : 2113
Views This Month : 1587
Views This Year : 7433
Total views : 18635
Who's Online : 0
Your IP Address : 18.97.14.90
Server Time : 2025-04-23