CAMEROUN : LE DANGER DU METS « OKOK-PIPI »

Une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux fait apparaître une restauratrice, urinant dans une marmite qui contient un mets culinaire très connu et apprécié au Cameroun. Le plat anglophone s’appelle « eru », et le plat francophone « okok ». Ces plats sont préparés à base d’une plante « miraculeuse », présumée guérir des maladies comme les hémorroïdes, le paludisme ou le Sida.

Le mets prisé a pris récemment le nom de « okok-pipi », à la suite du scandale provoqué par la vidéo susmentionnée. En effet, aux ingrédients habituels (feuilles d’okok, pâte d’arachide, pulpe de noix de palme, sucre en poudre, sel et eau) s’est ajoutée l’urine humaine pour la confection des repas commercialisés dans un vaste quartier populaire de la capitale politique Yaoundé. Le liquide organique est sécrété par les filtres rénaux du sang de la patronne des lieux et évacué par son urètre directement dans la marmite de cuisson.

CLIENTÈLE NON INFORMÉE

Ce liquide organique est en principe stérile aussi longtemps qu’il n’est pas expulsé de l’extensible vessie, située en bas de l’abdomen et susceptible de contenir 200 à 500 millilitres d’urine humaine. Force est cependant de constater que l’urine, produite par sécrétion et récupération de certaines molécules, peut entraîner des troubles sévères, dès lors que les toxines libérées par le corps patronal sont réintroduites dans les voies digestives de la clientèle non informée.

De manière générale, l’urine contient environ 95 % d’eau. Elle recèle aussi 5 % de différents déchets excrétés comme l’urée provenant de la dégradation des protéines, la créatinine en tant que rebut azoté du métabolisme musculaire, le calcium découlant de l’alimentation préalablement ingurgitée, l’ammoniac par décomposition des acides aminés, le potassium issu des cellules et quelques autres résidus moléculaires indésirables (sodium, urochrome, acide urique).

INDICATIONS PRÉCIEUSES SUR L’ÉTAT DE SANTÉ

De fait, la couleur et l’aspect du liquide organique sont censés donner quelques indications précieuses sur l’état de santé (1). Dilué, il est quasiment incolore et limpide. Concentré, il présente une couleur jaune intense. La couleur contrastée par rapport au jaune pâle peut s’avérer anormale. Si l’urine odorante est trop claire, ne serait-elle pas un symptôme diabétique ? Assez foncée, ne révèle-t-elle pas une carence d’hydratation ? Plutôt rouge, n’est-ce pas le signe d’une infection urinaire ?  Moussante, n’est-elle pas l’indice d’un excès d’albumine, voire d’un dysfonctionnement rénal ?

Au-delà de ces questions circonstancielles, quel est le crucial intérêt gastronomique d’absorber ou de faire avaler un staphylocoque doré, accompagné d’autres bactéries pathogènes dans les déchets rejetés par l’organisme ? L’urine aurait-elle un pouvoir mystique proche de la sorcellerie ordinaire ? Depuis la nuit des temps, l’interrogation reste ouverte (2). La célèbre Madonna n’a-t-elle pas confié qu’elle urinait sur ses pieds « pour venir à bout des champignons » (3) ?

MANIFESTE DANGER POUR LE BIEN-ÊTRE

En tout cas, il n’existe aucune preuve scientifique vraisemblable de l’efficacité de l’urinothérapie, parfois présentée dans la médecine traditionnelle chinoise ou indienne comme un médicament naturel buvable contre de nombreux problèmes de santé (4). Le breuvage y est cependant volontaire et constitué du « pipi » propre à chaque patient, alors que « l’ingrédient urinaire » est ici imposé et fourni par la miction d’une tierce personne dans un restaurant de quartier.

Les repas « okok-pipi », proposés dans la gargote camerounaise aux pratiques dissimulatrices, ne peuvent que représenter un manifeste danger pour le bien-être des clients pris à l’évidence au dépourvu. Et la personne coupable, désormais mise aux arrêts après sa fuite dans l’arrière-pays méridional, devrait être sanctionnée par le Code de la consommation et la législation protectrice de la santé publique.

Par le Professeur Alain Boutat

MEDIAPART

LUN. 17 FÉVR. 2025

Épidémiologiste,

Economiste

Politiste

Lausanne

(1) Cardenas J. « Les différentes couleurs d’urine et leur signification », Doctissimo, 11/06/2024.

(2) Giordan A. Le rein a bon dos : Petit traité sur un organe aux mille fonctions, Éditions JC Lattès, 2017.

(3) Jeanblanc A. « L’urine, témoin de notre santé paré de mille vertus », Le Point, 26/05/2017.

(4) Pujot M. « Peut-on vraiment boire son urine ? », Santé Magazine, 24/01/2024.

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